mercredi 8 avril 2009
ARTICLE M.HOUDAN
Par Olivier Houdan * * Citoyen calédonien. Cest une espèce part. Une espèce en provenance généralement et majoritairement de cette France que l'on dit métropolitaine. Depuis mon plus jeune âge, j'en ai rencontré des dizaines et côtoyé des centaines, ici où là bas, mais depuis un certain temps, il me semble en voir de plus en plus. Ils n'ont pas de caractéristiques physiques propres mais des éléments organiques et surtout mentaux qui n'appartiennent qu'à eux seuls. On les reconnaît même parfois, sans les voir. Certains d'entre eux, et en particulier ceux venant du Sud de la France, ont la redoutable capacité de parler en public à voix haute, sans se soucier des autres de toujours vouloir se faire entendre en imposant leur présence vocale. Cette capacité a le don d'hérisser rapidement les poils des bras autochtones et d'exciter très vite les connexions neuronales de mes compatriotes. En temps normal, l'insulaire s'exprime généralement de manière posée, lente et raisonnée. Pour lui, la parole va bien au delà du simple alignement de phrases et les pauses silencieuses entre les groupes de mots ont presque un rôle initiatique vis à vis de son interlocuteur. Respecter ces silences, c'est respecter d'abord celui qui parle. Les sudistes hexagonaux ont également la faculté de conserver, envers et contre tout, leur accent inimitable, comme une macule qu'ils souhaitent indélébile, comme un signe identitaire rassurant qui leur permettent de se faire connaître et, suprême honneur parmi la masse insulaire, d'être immédiatement reconnu. Plus catégorique apparaît la propension des membres de cette espèce à vouloir commander, diriger, régenter, gérer. En la matière, ils se découvrent soi disant, bien malgré eux, incontournables et bien entendu indispensables. Ils n'aient pas de domaines qui échappent à leur volonté de direction. En toutes choses, en toutes matières, ils doivent avoir leur mot à dire, leurs arguments à formuler, leur expérience à faire partager, c'est à dire la plupart du temps, à imposer. Lorsqu'ils n'y sont pas expressément conviés, ils prennent volontiers la parole, toujours avec ce désir de supplanter l'autre en apparaissant aux yeux du plus grand nombre comme les seuls garants du progrès, les moteurs de l'évolution de l'espèce humaine dont ils se veulent les seuls vrais représentants éclairés et civilisés et les parangons de la Connaissance. Il va de soi que toutes les barrières, fussent elles de corail, n'entament en rien leur détermination à gouverner. A l'intérieur de l'enclos coralien, un nouveau territoire s'ouvre à leur obsession de pouvoir et de commandement. Un enclos où, naturellement, ils sont les plus forts, les plus intelligents, en somme les mieux à même de diriger. Un archipel comme la Nouvelle Calédonie devient alors un terrain d'expérimentation idéal et un laboratoire d'essais grandeur nature pour la maturation de leur petite personnalité et l'affinage de leurs vertus. L'Equation n'en est que plus savoureuse à résoudre. Symptomatique est aussi leur faculté soi disant naturelle à distribuer les bons points, les bons conseils, les satisfecit dans tous les domaines, et a fortiori, de critiquer allégrement et de mettre en exergue les défauts. Car, eux, ils savent. Tandis que nous, pauvres pêcheurs de picots, nous ne pouvons qu'être, à côté de leur magnificence, des ignorants ne comprenant rien à rien. Parfois même, nous sommes réputés incapables d'intégrer les faits se déroulant dans notre propre pays. Il n'est pas rare de rencontrer parmi eux, après leur deux, trois ou quatre ans de séjour, de véritables spécialistes de la Nouvelle Calédonie. Deux ans de présence et un professeur de géographie à l'IUFM est invité sur les plateaux de RFO comme consultant politique lors d'une soirée électorale, distillant ses avis éclairés, commentant à chaud les résultats d'une lointaine commune dont il écorne le nom, comparant les gains et les pertes de voix d'une élection sur l'autre, oubliant au passage de préciser aux téléspectateurs, qu'au moment de la dernière élection dont il parle avec assurance, il passait son baccalauréat en France... Deux ans de séjour suffisent amplement pour découvrir de véritables docteurs en sciences politiques, spécialistes de la Nouvelle Calédonie. Ils n'hésitent pas alors à refaire l'histoire politique du Caillou et à ruminer les sempiternelles marottes et les incontournables lieux communs. Deux ans de séjour, et sans coup férir, s'élève parfois devant vous, des théoriciens avertis de la sociologie en pays caldoche. Ils se moque ouvertement et sans ambages de l'accent de certains de nos compatriotes et concluent leur remarque d'une superbe envolée lyrique sur les conséquences d'un atavisme facilité par le segment historique du bagne, la réelle ampleur d'un métissage biologique mésestimé et une nouvelle formulation du complexe archipélagique, à moins que ce ne soit, kava aidant, un énoucé grandiloquent sur le destin commun des piles et l'entente entre les nations... Deux ans d'affectation au collège de Houallou, et Maurice Leenhardt peut aller se rhabiller, tant certains exogènes se propulsent eux mêmes, spécialistes des lignages kanak et réinventent l'espacetemps en pays Ajié. Il y a de quoi être impressionné. Vraiment. Deux, trois ou quatre ans de séjour, et la population néo calédonienne de longue date peut donc s'enorgueillir de posséder des kyrielles de spécialistes en tout genre qui ne cessent de se renouveler au rythme des arrivées et des départs. Nous possédons donc, à la surface de notre richesse en nickel, des gisements inépuisables et répertoriés de grands connaisseurs de l'univers calédonien, toujours disposés à faire partager leurs croyances. Quelle chance nous avons S'ils n'existaient pas, il faudrait vraiment les faire venir, car on aurait du mal à s'en passer ! Leur cruelle absence nous pèserait tellement C'est véritablement une espèce à part, mais le domaine où ils se révèlent parmi tous et où ils excellent plus que tout, c'est leur mentalité. Leur système de pensée n'est assurément pas le nôtre. Il peut être schématisé sous la forme d'une figure géométrique à six côtés (cela va de soi) dont chacun est significativement le porteur d'une caractéristique presque immuable la domination, l'envie, le comparatif, la prébende, l'intérêt et l'accumulation: ce sont les six pêchés hexagonaux. Nous touchons là à l'essence même de la définition du zoreille qui se distingue d'abord et avant tout, par son état d'esprit et ses prolongements mentaux. Ils sont particulièrement doués pour le calcul, mais pas n'importe quel calcul. Dans la grande majorité des cas rencontrés, observés et étudiés avec préméditation et presque délectation, l'Equation à résoudre est d'une redoutable simplicité. C'est d'abord une Equation à aucune inconnue, ce qui facilite grandement les choses. En effet, les sommes mensuelles sont invariablement identiques à quelques unités près et le coefficient multiplicateur est d'au moins 1,73 % sans excéder toutefois, 1,94 %. C'est ensuite une Equation finalement toujours positive qui font de ses bénéficiaires directs des éternels gagnants patentés. C'est enfin une Equation qui ne connaît que deux modes opératoires : l'addition des avantages et la multiplication maximale des bénéfices. Il va de soi que la soustraction et encore moins la division n'ont le droit de cité puisque l'objectif ultime est de faire fructifier son dû. Car dû, il y a. Nombre d'entre eux considèrent leur travail comme un sacerdoce et leur expatriation temporaire, comme une mission de la plus noble facture. Il est donc admis que ce travail d'abnégation, sous l'implacable soleil des tropiques, au contact d'un public qui ne cherche pas à les comprendre, entraîne évidemment leur nécessaire surrémunération, signe intangible du travail récompensé et du devoir accompli pour la mère patrie. Cette obsession à résoudre l'Equation de manière efficace et rapide, c'est à dire en deux ans minimum et en quatre ans maximum, a parfois pour conséquence des comportements et des agissements d'un autre âge que l'on croyait disparu. Ainsi un membre de l'espèce n'aura de cesse, au contact des autochtones ou de ses congénères, de vouloir tout faire partager les achats de nourriture, les repas, le vin à table, les frais d'essence, le loyer quand il niche en colocation, le coût de l'électricité, etc. C'est pour le témoin oculaire qui assiste à ce type de scène pour la première fois, une preuve indubitable d'un souci égalitaire, une volonté avérée de faire triompher la justesse à défaut d'établir un sentiment de justice. Ne nous y trompons pas. Diviser la note et les coûts a pour utilité première de soustraire notre objet d'étude à des sommes et des frais qui ne feraient que contrarier la résolution efficace et rapide de l'Equation... Il en va de même de la consommation qui reste un effort minimal essentiellement consacré aux dépenses vitales, hélas difficilement réductibles. Ainsi, on rencontre davantage de ces spécimens dans les spectacles, conférences et manifestations gratuits et ils se regroupent comme par enchantement devant les produits de dégustation offerts par les marques locales du secteur agro alimentaire dressant leurs stands dans les travées des hypermarchés. Quand le paiement est obligatoire alors on cherche à réduire au maximum les tarifs : la chasse est alors ouverte aux bons de réduction et aux offres de rabais sur les biens marchands et les services culturels, à moins de trouver un congénère pour partager... Une famille de fonctionnaires expatriés fraîchement débarquée, qui n'a pas encore eu connaissance de la dernière ligne de sa fiche de salaire indexée, et qui déjeune « Chez Bernadette» en tête à tête, commandera donc prudemment deux steaks frites salades que se partageront (encore une fois) les parents et leurs trois enfants. Ainsi, ils inventent puis mettent quotidiennement en pratique un nouvel agrégat économique la conso épargne... Alors, pourquoi, sans cesse et toujours, la recherche de l'avantage aussi minime soit il ? Pourquoi cette propension si caractéristique à leur destinée, de ne rarement donner et devoir, mais éternellement recevoir et avoir ? La recherche effrénée et exclusive de l'avantage s'accompagne parfois de l'expression d'une mauvaise foi caractérisée et d'un culot sans limites. Pour résoudre l'Equation, il va sans dire que tous les moyens sont bons, même les plus vils. Entreprendre une colocation avec un ou plusieurs membres de l'espèce est, pour l'endogène que je suis, une expérience dont on ne sort que très rarement indemne. Je l'ai bien sûr appris à mes dépens. A Maré, une de mes colocatrices et collègues, que j'avais accueillie à la manière calédonienne, c'est à dire avec humanité, compréhension, bienveillance et à bras ouverts, me reprocha, au moment de payer son loyer, d'inclure dans la somme préalablement convenue les périodes de vacances scolaires durant lesquelles elle était absente !!! Les bras m'en tombent encore. A une autre époque de l'année, une autre colocatrice, qui officiait comme bibliothécaire dans le même collège et ayant appris la fin prochaine de son contrat, laissa volontairement les 3 brûleurs du réchaud à gaz allumés pendant toute une journée m'expliquant, le plus normalement du monde, qu'elle souhaitait vider le contenu de la bouteille de gaz qu'elle avait achetée quelques semaines auparavant, afin de rendre le contenant avant son départ et de récupérer ainsi le montant de la consigne ! Je suis resté sans voix, mais cette fois ci en serrant les poings. Inutile de préciser, à la lecture de ces faits avérés, qu'il s'agissait, à chaque fois, d'éminents représentants de l'espèce. Et comme, pour eux, il n'y a pas de petit profit et donc de petites économies, à quelques semaines du retour définitif vers la mère patrie, les panneaux d'affichage des mess, salles de profs et autres couloirs des administrations se couvrent à intervalles réguliers de listes d'objets à la vente qui résument à elles seules et jusqu'au dégoût l'objectif premier, le but final toujours arrondir le résultat de l'Equation à l'unité supérieure. Egouttoir à vaisselle à 200 francs CFP; bidons de produits ménagers entamés : 150 francs ; bouteille d'huile d'olives à moitié pleine : 250 francs ; éponges à récurer usagées... La liste est parfois longue. Trop longue. A la lecture de ces propositions alléchantes, mon premier réflexe serait, au choix, la déchirure, le crachat ou la mention manuscrite d'une remarque acerbe. J'ai depuis longtemps et passionnément parier sur la raison et le travail avec pour seul objectif de faire en sorte qu'un nombre toujours croissant d'enfants de mon pays accède aux fonctions, aux emplois et aux responsabilités qui nous permettront un jour, que j'espère le plus proche, de remplacer l'espèce exogène par l'espèce endémique. Olivier Houdan est citoyen calédonien.
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